Post-Carbone




de


Gaël Giraud et Carlo Petrini


Pour le Pape François qui l’a préfacé, le livre de Gaël Giraud sj et de Carlo Petrini intitulé « Post-carbone » est un « don » précieux. Il a fait naître en lui un véritable « goût » du beau et du bon, c’est-à-dire une saveur d’espérance, d’authenticité. Il fait allusion de la sorte au titre du livre dans sa langue originale, l’italien, à savoir : « Il gusto di cambiare », « le goût du changement ».


Ce livre qui retrace un dialogue est le fruit de la rencontre de deux acteurs engagés en faveur de la transition écologique.

D’un côté, Gaël Giraud, prêtre jésuite, économiste, directeur de recherche au CNRS, mathématicien et théologien, théoricien de la transition écologique. Il a dirigé le programme de justice environnementale à l’université de Georgetown (Washington DC).

De l’autre côté, Carlo Petrini, agnostique, intellectuel, gastronome de profession, fondateur du mouvement international de Slow Food et de la première université de Sciences Gastronomiques. Créateur de Terra Madre, réseau mondial qui rassemble des milliers de paysans, pêcheurs, éleveurs et producteurs dans 150 pays.


De ce dialogue fécond émerge un chemin possible vers la transition écologique dans un monde post-carbone.

Pour ouvrir ce chemin, Gaël Giraud et Carlo Petrini croisent leurs points de vue dans leur champ d’expertise respectif, l’alimentation et le système économico-financier.


L’ouvrage commence par un diagnostic alarmant de la « ruine environnementale », dont le premier responsable est le système alimentaire d’un bout à l’autre de la chaine de production. Carlo Petrini note néanmoins qu’il est possible de se nourrir de façon soutenable de sorte que les ressources restent disponibles pour les générations futures. Carlo Petrini souligne que la nourriture doit être un droit, et non un bien que l’on échange en bourse, une priorité universelle, pas une marchandise.


Gaël Giraud sj pointe l’économie de la souffrance et met en garde contre les pièges du modèle néo-libéral. Selon l’auteur, le néolibéralisme essaie de détruire l’héritage des Lumières qui repose sur trois éléments : 1/ L’autonomie politique (on coupe la tête du roi pour signifier que le lieu du pouvoir est vide, et que désormais c’est de la délibération politique que naîtront nos compromis politiques, non plus d’une hétéronomie imposée par Dieu, la tradition ou la science. 2/ L’égalité de tous devant la loi mise à mal par la pratique scandaleuse de l’évasion fiscale. 3/ La propriété privée, dévoyée par une privatisation tous azimuts. Cette absolutisation du privé n’est pas fidèle au libéralisme originel.


Cette critique du néo-libéralisme d’inscrit dans la réflexion que Gaël Giraud sj a déjà approfondie dans sa thèse qui a été suivie de la publication d’un livre « Composer un monde en Commun. Une théologie politique de l’anthropocène» (2022). Il fait référence notamment aux travaux de Kantorowicz sur la doctrine du double corps du roi et à l’évangile de Luc pour analyser la question de l’autonomie politique, de la démocratie et de la délibération comme commun herméneutique. il a développé précisément dans sa thèse une analyse transdiciplinaire des 4 schèmes socio-politiques à partir desquels organiser nos ressources ; propriété privée, biens publics, biens tribaux et biens communs en prenant appui sur les travaux de la politologue et économiste Elinor Ostrom. Gael Giraud sj explicite les fondements bibliques de la notion de commun.


Après le diagnostic sur la fin d’un monde, Gaël Giraud sj et Carlo Petrini pointent la nécessité de passer à l’action. Ils identifient clairement des raisons d’espérer à dans l’engagement des jeunes générations qui sont à la recherche de sens aussi bien dans le cadre de leur formation que dans le monde du travail. 


Pour Gaël Giraud sj, le programme politique qu’il appelle de ses vœux doit reposer sur la « réglementation de la finance, la restauration de l’Etat de droit et le respect des droits humains, dans le but de compléter la propriété privée par les biens communs. »


Les biens communs concernent différents domaines, : l’eau (voir en sens la réflexion engagée en Italie pour la municipalisation de l’eau et contre sa privatisation), l’alimentation (voir l’expérience du Slow Food), l’environnement (mis en avant par l’encyclique Laudato Si), la santé (dans le contexte de la pandémie covid 19).


Pour Gaël Giraud sj et Carlo Petrini, la naissance d’un monde nouveau suppose la mobilisation politique de la société civile.

A cet égard, « les municipalités peuvent être le moteur de la soutenabilité au niveau international – Il faut se coordonner pour inventer de nouveaux types de villes, robustes et non pas efficaces, capables d’utiliser le levier de la dette publique pour atteindre les objectifs environnementaux de soutenabilité ».


Suivant les réflexions qu’il a déjà menées il y a 10 ans dans la revue Projet, Gaël Giraud sj souligne que le protectionnisme n’est pas intrinsèquement lié au nationalisme. « Le véritable antidote contre la guerre, ce n’est pas le libre-échange, comme veut le croire une fable attribuée à Montesquieu, mais c’est la justice sociale et environnementale…Le bon protectionnisme, c’est l’Etat qui protège les biens communs par le droit ».


Pour Gaël Giraud sj, « nous devons focaliser le débat politique sur cette question : quels sont les biens, les ressources que nous voulons considérer comme biens communs ? » Santé, énergie, monnaie, travail doivent être considérés comme des biens communs.


Le changement suppose la révolution des jeunes. Les jeunes doivent être impliqués dans la mobilisation de la société civile, le développement des banques éthiques et coopératives, les communautés alimentaires, les économies locales dont le développement doit reposer sur la souveraineté monétaire via les monnaies locales


Dans ce contexte, le mode de communication dans toute communauté doit être adapté et s’écarter de la conception traditionnelle de la parole du chef. « Il faut au contraire une spiritualité synodale qui nourrisse un dialogue participatif à l’intérieur des communautés. » Gaël Giraud sj et Carlo Petrini appellent à une transition heureuse reposant sur la liberté de s’engager dans les affaires de la Cité, dans la délibération commune. « Le but c’est de vivre mieux, d’élever la qualité de l’existence, de trouver un sens à l’aventure humaine. »


A ce sujet, Gaël Giraud sj suit le pape François qui appelle de ses vœux un "multilatéralisme d’en bas" : « inventer les structures institutionnelles régionales, nationales, internationales, qui permettront de prendre soin de nos communs globaux, mais en partant du terrain, de l’expérience vécue par celles et ceux qui sont sur le front. »


En conclusion, Gaël Giraud sj souligne que « la tradition chrétienne est une tradition de biens communs » en faisant référence notamment au début des Actes des Apôtres (Actes, 2, 44-45 et Actes 4 32-35), qui mettent en avant la conception d’une Église où chaque baptisé soit acteur, devienne missionnaire et contribue aux communs de l’Église et de la société, intuition avec laquelle le Pape François a renoué via la démarche synodale.


 Margaux Castel