Les Communs


La Fabrique des Communs se donne pour objectif d’expliquer la notion de communs et de montrer en quoi elle permet de faire évoluer la compréhension du monde et le fonctionnement de la société. La mobilisation des communs peut s’inscrire dans une démarche de critique du capitalisme, de la propriété privée et d’invention de nouvelles formes de vivre ensemble susceptibles de renouveler la démocratie.

Les communs s’inscrivent dans la pratique des espaces d’usage partagés par opposition aux enclosures en Europe au Moyen-Age. Néanmoins, la notion a fait l’objet d’une recherche académique intense seulement depuis une dizaine d’années. L’exploration de la notion de communs est propice à l’interdisciplinarité, au croisement de disciplines diverses - économie, droit, histoire, philosophie, sciences politiques, sociologie - susceptibles de structurer les « common studies ». L’étude des communs repose à la fois sur une approche théorique et empirique.

La connaissance des communs doit beaucoup à la politologue et économiste américaine Elinor Ostrom. Cette dernière a reçu le prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur l’émergence des communs dans la société civile et l’étude des règles des communautés locales pour en prendre soin. 

L’économiste américain Paul Samuelson a distingué en 1954 les biens privés et les biens publics. Ces catégories économiques viennent du droit, qui est lui-même un héritage du christianisme.  Selon Samuelson, les biens privés se définissent comme faisant l’objet d’une consommation rivale et exclusive. Les biens publics se caractérisent par une consommation non rivale et non exclusive.


Elinor Ostrom introduit des nuances dans le modèle de Samuelson. Elle y ajoute les biens club autrement dit tribaux ou claniques, qui sont d’une consommation non rivale et exclusive, comme internet, le câble, les réseaux sociaux. Elle complète son analyse par la définition des biens communs, caractérisés par une consommation rivale et non exclusive. Ainsi la consommation des poissons d’un étang est régulée et l’accès est non exclusif. 


Enfin, Elinor Ostrom explique que les communs s’affirment comme une remise en cause de la propriété privée, conçue comme un « faisceau de droits ».

Cette dernière a identifié 8 meta-règles concernant la gouvernance des communs.

1. Définir clairement les limites du groupe.

2. Adapter les règles régissant l'utilisation des biens communs aux besoins et aux conditions locales.

3. Veiller à ce que les personnes concernées par les règles puissent participer à leur modification.

4. Veiller à ce que les autorités extérieures respectent les droits des membres de la communauté en matière d'élaboration des règles.

5. Mettre en place un système de contrôle du comportement des membres de la communauté, assuré par les membres de la communauté.

6. Utiliser des sanctions graduelles pour les personnes qui ne respectent pas les règles.

7. Fournir des moyens accessibles et peu coûteux pour la résolution des conflits.

8. Établir la responsabilité de la gestion de la ressource commune à des niveaux imbriqués, du niveau le plus bas jusqu'à l'ensemble du système interconnecté.


Prenant appui sur les travaux d’Elinor Ostrom, l’économiste Gaël Giraud SJ interroge la notion de biens privés au regard de celle de propriété privée. Les légistes de la réforme grégorienne ont inventé trois catégories sous-tendant le concept de propriété privée : l’usus (usage), le fructus (fait de faire fructifier, de tirer un profit), l’abusus (l’abus, l’usage intensif de quelque chose, la possibilité de le détruire). Le débat sur la propriété privée au XVème siècle, entre les Franciscains qui affirment le droit d’usage en cohérence avec leur esprit de pauvreté et les légistes pontificaux qui le refusent est à nouveau d’actualité de nos jours à travers celui sur les communs et les limites à donner à la propriété privée pour répondre à la crise écologique. Pour Gaël Giraud SJ, une des racines du désastre écologique est la privatisation de certaines ressources, là où il faudrait travailler sur les biens communs. Le sentier à suivre est étroit. Par-delà la privatisation du monde, si tout relève de la sphère publique, c’est une catastrophe. Si tout relève de la sphère privée, c’est également une catastrophe. La propriété privée pose problème face au dérèglement climatique. L’économiste se demande s’il ne faut pas limiter ce droit par l’obligation de ne pas détruire la planète. Peut-on dire à un Etat souverain qu’il n’a pas le droit de déforester l’Amazonie au nom de la protection des biens communs globaux et au détriment de sa souveraineté ? Quelles sont les institutions qui seront en charge des biens communs globaux et qui limiteront la propriété privée ? A mesure que le duo bien public/bien privé nous enfonce dans la crise écologique, les plus pauvres se replient pour créer des liens de solidarité dans les biens tribaux à partager à l’intérieur du club. La promotion des biens communs fait partie de la solution qui passe par la limitation de la propriété privée. 

Dans sa thèse de théologie « Composer un monde en commun – Une théologie politique de l’Anthropocène » publiée en 2022, Gaël Giraud SJ démontre que le christianisme est une ressource pour inventer des institutions pour la protection des communs. Cette approche s’inscrit dans le sillage de la lettre encyclique Laudato Si’ du pape François sur la sauvegarde de la maison commune publiée en 2015.



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